Tout fout le camp.
Notes du 25 octobre 2010.
Me revoilà à Birmingham, dans un contexte différent cette fois. Nous revenons de la fabrique Cadbury et de 5 heures de marche, et les deux allemandes sont assises quelque part au premier étage d'un fast food dégueulasse à la sortie de New Street. Je suis d'une humeur de merde, j'ai des ampoules monstrueuses et je me casserais volontiers par le prochain train, sans prévenir ces deux gonzesses insupportables et molles. Je suis donc à l'écart, c'est à dire dehors.
Je sais que certains de mes proches savent déjà à quel point j'aime Birmingham. Cela dit, c'est difficile d'expliquer précisément pourquoi. Il vous suffit d'imaginer un mélange de Paris, de Londres et de Glasgow en plus industriel, et plus animé la nuit. Je n'ai jamais vu Birmingham autrement que sous la pluie, dans le froid, et surpeuplée. Je suis adossée contre une barrière à la sortie de la gare centre, et m'efforce de supporter les bousculades de ces connards de passants. A ma gauche, des adolescents bruyants que l'on voudrait frapper. A ma droite, une mère qui fume et balance - intentionnellement ? - ses cendres dans la poussette de sa gamine, qui s'éclate avec un camion musical. Le genre de jouet qu'il faut secouer pour déclencher une musique insupportable en format midi. Je défoncerais bien le joujou en question, pour voir. Devant moi, un camion des ambulances en feux de recul, deux ou trois flics de mauvaise humeur, et des dizaines de passants à la seconde. Mes yeux s'attardent sur ces mégots qui tombent au sol, sur ces poignées de mains formelles -mais la plupart du temps amicales-, ces rires, ce fast food dégueulasse qui empeste la friture froide, sans oublier le son de la pluie, éternel et réconfortant au milieu de ce foutoir et de ce chaos olfactif.
C'est une journée dégueulasse, qui me ferait presque pleurer. Je n'arrive pas à me concentrer sur ce dont j'ai besoin ces temps-ci, alors je pédale dans le vide et je m'acharne sur tout ce qui pourrait m'être utile. Wahe me dit de laisser tomber, d'apprendre à tourner la page et de
reprendre le dessus. Elle me sort quelque chose du genre "et puis merde,
trouve-toi quelqu'un". Elle me balance même qu'il faut que je fonce
sans réfléchir, que je fasse enfin ce que j'ai envie de faire et que
j'arrête de m'inquiéter pour des cons qui n'en valent pas la peine. Ces
choses semblent si simples quand je l'écoute. Bref, je m'assois sur cette barrière, au milieu de la foule, légèrement en hauteur, et me concentre sur l'essentiel. Mercredi, j'ai rendez-vous avec l'université, afin de concrétiser les choses pour l'an prochain. Ce qui se passe dans les environs de mon estomac ressemble à de la peur, mêlée à de la culpabilité. Tous ces facteurs à prendre en compte m'empêchent d'y voir clair, alors je prends des décisions sans trop réfléchir. Jusqu'à présent, ça semble être les bonnes. Si l'on suit le plan, je m'installe en Angleterre d'ici l'été prochain, avec Bacchus (raison de culpabiliser), ce qui veut dire que je laisse ma mère (encore une raison), mon père (bizarrement, nouvelle raison), mon frère (évidemment, autre raison), les coupains (bah oui, grosse raison), mes grands parents (idem, puisqu'ils ne sont plus éternels. Cela aurait été bien plus facile s'ils n'avaient pas décidé d'être gentils, prévenants et sentimentaux il y a quatre ans. Merci les mecs, vous rendez la chose plus difficile encore), et même le reste : mais putain, ce n'est pas possible de s'en faire pour tout et tout le monde, et ce, même lorsque cela n'a plus lieu d'être bordel !
Alors je descends de ma barrière, et je prends le train ...
Ou bien alors je monte, je m'assois et j'attends que l'une des allemandes prenne son avion, gentiment, sans broncher, en ignorant les éclats de rires, l'odeur de friture froide, les mégots, le froid, la pluie, ma culpabilité et mon insupportable bonté.
J'hésite ...
Je crois que mon abnégation me perd. Mais c'est pour le bien de tous.
En attendant, je fais des efforts, parfois surhumains, surtout lorsqu'il s'agit de brosser les traces de merde de ma coloc dans la cuvette le matin. Parfois, je vais même jusqu'à rendre service et faire des courses pour d'autres personnes, et je conseille une collègue sur la façon dont elle gère sa relation avec sa fille en crise d'adolescence. Que voulez-vous ...